Les députés allongent de 50 à 70 ans la durée des droits voisins
L'Assemblée nationale a approuvé le 20 novembre l’allongement de la durée des droits voisins dont bénéficient les artistes interprètes et les producteurs phonographiques à 70 ans, en votant un projet de loi transposant une directive européenne du 27 septembre 2011 qui prévoyait cette prolongation de 20 ans. Voté à l'unanimité par les députés, ce projet de loi examiné dans l’urgence doit maintenant passer devant le Sénat avant d'entrer en vigueur.
Il s’agit surtout de rattraper le retard. Les Etats membres disposent en moyenne d’un délai de dix-huit mois pour transposer les directives européennes dans leur droit interne. La directive 2011/77/UE devait donc être transposée au plus tard le 1er novembre 2013. Les autorités françaises n’ayant pas informé la Commission européenne des dispositions prises pour s’y confirmer, celle-ci leur a adressé un avis motivé le 10 juillet dernier, conduisant le Gouvernement à engager une procédure accélérée le 22 octobre.
« La France pourrait donc faire l’objet, en l’absence de transposition rapide de cette directive, d’un recours en manquement devant la Cour de justice de l’Union européenne et se voir infliger une sanction pécuniaire d’un montant forfaitaire d’une dizaine de millions d’euros ainsi que de possibles astreintes à hauteur de plusieurs centaines de milliers d’euros par jour. » a expliqué Fleur Pellerin au démarrage des discussions. En présentant ce projet de loi, la ministre de la Culture et de la Communication entend « veiller au respect des exigences européennes » et « assurer la pleine crédibilité de la France sur les sujets européens en matière de culture et de droit d’auteur, pour lesquels l’agenda des prochaines années sera lourd et important ».
Une extension jugée nécessaire
L’extension de la durée des droits voisins (dont bénéficient les artistes interprètes et les producteurs de phonogrammes ou de vidéogrammes dans le secteur musical) à 70 ans, contre 50 ans actuellement, « se justifie par une série de raisons qui tiennent tant à l’équité qu’à la préservation de la diversité culturelle et à la compétitivité du marché européen », souligne Fleur Pellerin.
« Compte tenu de la contribution essentielle des artistes-interprètes à la création, il est inéquitable que ceux qui ont commencé leur carrière très jeunes se voient privés de toute rémunération au titre de leurs premiers enregistrements. L’allongement de la durée de la vie des artistes a aujourd’hui pour conséquence que des pans entiers du fonds de catalogue des années 1950 et 1960, représentant une part très significative du patrimoine national dans le domaine des variétés, tombent progressivement dans le domaine public alors même que les interprètes sont encore vivants et que les enregistrements continuent d’être exploités » fait valoir la ministre.
Elle estime par ailleurs que l’allongement de la protection est également nécessaire en termes de diversité culturelle, de renouvellement de la création et de financement de la filière musicale : « Les artistes-interprètes bénéficieront d’une source de revenus supplémentaire qui couvrira toute leur vie et, en outre, les producteurs de phonogrammes disposeront d’une capacité nouvelle pour financer de nouveaux talents et s’adapter à la diffusion dématérialisée ».
Trois mesures contraignantes pour les producteurs
Le projet de loi prévoit trois séries de mesures destinées à garantir que les artistes-interprètes bénéficieront bien des effets de l’allongement des droits :
■ Il instaure l’obligation pour les producteurs d’exploiter les phonogrammes pendant la durée supplémentaire de protection, sous peine de perte définitive des droits. Ce dispositif permet aux artistes-interprètes de récupérer leurs droits dans l’hypothèse où le producteur ne commercialiserait pas leurs enregistrements pendant la période de protection additionnelle. De cette façon, l’artiste pourra soit trouver un autre producteur qui serait prêt à commercialiser sa musique, soit le faire lui-même, par le biais d’internet, par exemple.
■ La deuxième mesure prévoit que les musiciens de studio, qui sont le plus souvent rémunérés sur une base forfaitaire et dont les rémunérations n’augmentent pas avec le succès de l’enregistrement, bénéficient d’un droit de paiement annuel financé par les producteurs de phonogrammes. Ceux-ci sont ainsi tenus de verser au moins une fois par an 20 % des recettes provenant de l’allongement des droits. Afin que cette mesure n’entraîne pas de charge disproportionnée pour les petits et moyens producteurs, le projet de loi exempte de cette mesure certains d’entre eux, afin de préserver les labels indépendants, sous certaines conditions.
■ La troisième mesure a pour objet, pour les artistes dont le contrat prévoit une rémunération proportionnelle, de ne pas permettre au producteur de retrancher les avances ou déductions définies contractuellement au-delà de la période initiale de protection de cinquante ans, afin que ces artistes bénéficient réellement de l’augmentation de la durée des droits voisins.
Dispositions concernant les œuvres orphelines
La deuxième partie du projet de loi transpose une autre directive européenne du 25 octobre 2012 (qui devait être transposée avant le 29 octobre 2014) sur certaines utilisations autorisées des œuvres dites « orphelines ». A savoir les œuvres (livres, journaux, revues, films, enregistrements audio ou photographies…) protégées par le droit d'auteur mais dont les ayants droit ne sont pas identifiés ou localisés à l’issue d’une recherche diligente, avérée et sérieuse. Le texte autorise et sécurise l’exploitation de ces œuvres à des fins non commerciales. Ce qui permettra aux bibliothèques, musées, services d’archives et organismes similaires qui poursuivent des objectifs d’intérêt public tels que l’éducation ou la préservation et la diffusion du patrimoine culturel, de les numériser, de les reproduire et de les mettre à la disposition du public en toute légalité et dans le respect de la propriété littéraire et artistique.
Afin de préserver les intérêts des titulaires de droits, le projet de loi précise la nature des recherches qui devront être menées avant de déclarer une œuvre orpheline et encadre précisément ses modalités d’exploitation de ces œuvres, notamment en excluant tout usage commercial et en préservant les droits moraux des auteurs. Il définit également les conditions dans lesquelles un titulaire de droits sur une œuvre déclarée orpheline peut se manifester auprès de l’organisme exploitant cette œuvre, pour lui demander de cesser cette exploitation et de lui verser une compensation équitable du préjudice qu’il a subi du fait de celle-ci.
Enfin, la troisième partie du projet de loi transpose la directive du 15 mai 2014 concernant la restitution de biens culturels relevant du patrimoine national ayant quitté illicitement le territoire.