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Reprise de la Salle Pleyel, rebondissements d’un dossier explosif

28 Décembre 2014 , Rédigé par Gildas Lefeuvre Publié dans #Spectacle vivant

Le rachat de la salle Pleyel n’en finit pas d’alimenter la polémique et est au cœur d’un feuilleton judiciaire dont le dernier rebondissement est la décision de la cour d’appel de Paris, le 16 décembre, d’infirmer une ordonnance du tribunal de commerce qui avait gelé l’appel d’offres en octobre.

Rappel des épisodes précédents…

Inaugurée en 1927, détruite par un incendie 9 mois plus tard, reconstruite pendant la crise de 1929, passée aux mains du Crédit Lyonnais en 1935, la salle art déco du 252 rue du Faubourg Saint-Honoré avait été rachetée en 1998 par Hubert Martigny, cofondateur d’Altran Technologies avant que l’Etat ne prenne l’exploitation du lieu en décembre 2003 pour une durée de 20 ans. La Cité de la Musique (établissement public à caractère industriel et commercial) en deviendra « virtuellement » propriétaire en novembre 2004 (par un nouveau contrat stipulant que Pleyel lui revienne au terme de 50 ans de location pour 1 euro symbolique). Fermée en 2003 pour de gros travaux de rénovation architecturale et acoustique, la salle a rouvert en septembre 2006 avec 1913 sièges au lieu de 2370 auparavant.

Laurent Bayle, directeur de la Cité de la Musique, a décidé en mai dernier d’en concéder la gestion à un organisateur privé, pour des questions financières. D’une part, pour pouvoir continuer à rembourser l’emprunt contracté pour le rachat du lieu en 2009 (2,5 millions à payer par an) ; d’autre part, pour consolider le budget de fonctionnement de la Philharmonie de Paris gérée par la Cité de la Musique. Ce nouvel équipement, dernier des grands projets culturels français, doit ouvrir ses portes le 14 janvier 2015. Commandée par l’Etat, la région et la Ville de Paris à l’architecte Jean Nouvel, la Philharmonie aura coûté 381 millions d’euros, dont 45 millions de dépassement. Un budget pharaonique auquel s’ajoutent des coûts de fonctionnement de 31,4 M€ pour 2015, qui dépendent d’une subvention de 18 millions pour laquelle le loyer perçu de Pleyel sera le bienvenu. D’autant que la Ville de Paris a annoncé qu’elle ne verserait pas sa quote-part.

Pour en revenir à Pleyel, Carla Maria Tarditi, chef d’orchestre et ancienne directrice de la salle, en instance de divorce avec l’ancien propriétaire Hubert Martigny, s’est opposée à cette concession en mai dernier, estimant que Pleyel avait été bradée au profit de l’Etat. (60,5 M€ alors que sa valeur est estimée par Deloitte à 110 M€). Ce qui a abouti en octobre au gel de l’appel d’offres par le tribunal de commerce, en attendant qu’un jugement sur le fond concernant les conditions du rachat soit rendu. La Cité de la Musique, qui conteste la compétence de cette juridiction à prendre une telle décision, avait fait appel. Le résultat lui est donc favorable, mais la plaignante a déclaré se pourvoir en cassation.

Exit le classique, place aux musiques actuelles…

Au-delà de l’imbroglio juridique, c’est aussi la condition expresse de ne plus programmer de musique classique à Pleyel qui déchaîne les passions. Un changement d’affectation exigé pour ne pas concurrencer la future Philharmonie (2 400 places) dédiée à la musique symphonique et pour permettre le report de l’actuelle subvention de Pleyel vers la nouvelle salle. L’appel d’offres le stipule clairement : « La programmation ainsi définie exclut tout concert ou spectacle de musique classique quelle qu’en soit la forme ». Le nouvel opérateur aura pour mission d’y développer une programmation de spectacles et de concerts de musique populaire de qualité (variétés, chanson, pop, rock, jazz, comédies musicales, humour…) dans le respect du cadre et de la vocation du lieu. « Ces concerts et spectacles doivent notamment permettre de maintenir l’image prestigieuse de la salle et son rayonnement international ».

Cette reconversion du temple du classique en music-hall chic n’est pas du goût de tous. « Interdire un genre musical dans un lieu de culture, c’est du jamais vu… Sauf peut-être en Corée du Nord » Mais s’agissant de Pleyel, c’est une aberration » s’insurge le chef d’orchestre Laurent Petitgirard, par ailleurs président de la Sacem. « La Philharmonie de Paris accueillera des musiques actuelles en vaste proportion, et plus l’offre classique est abondante, plus on a de chances d’intéresser les spectateurs à ce genre dont le public s’étiole » ajoute-t-il. L’association des commerçants locaux dénonce ce revirement qui n’est pas dans l’esprit du quartier… Les maires des 17ème et 8ème arrondissements font pression au Conseil de Paris, l’association « Pour le classique à Pleyel » en appelle au Premier ministre et une pétition a été postée sur Internet qui a recueilli 10 600 signatures (musiciens, amateurs de classique…) et suscité 1 600 commentaires.

Quatre candidats encore en lice…

La reprise de la salle mythique attise les convoitises. Mais sur les divers candidats potentiels ou déclarés, il n’en restait plus que six à déposer un dossier fin septembre : Marc Ladreit de Lacharrière (Fila, qui s’est diversifié dans la gestion de salles et l’organisation de concerts, avec  14 grandes salles Vega dont 7 Zénith, et en association avec Gilbert Collier), Steven Hearn (Morgane Groupe, producteur des Francofolies et du Printemps de Bourges), Jérôme L’Anglet (Lagardère, qui a récupéré Les Folies Bergères, le Casino de Paris et 20% du Zénith), Pascal Nègre (Universal Music, qui détient l’Olympia) et l’indépendant Jean-Marc Dumont et (producteur de Nicolas Cantaloup, associé de Laurent Ruquier au Théâtre Antoine et spécialiste de la relance des théâtres en difficulté). Lagardère s’étant récemment désisté, ne restent donc plus en lice que Fila, Universal, Morgane et Jean-Marc Dumontet.

D’autres ont jeté l’éponge :Live Nation (jugeant les équipements lumière et vidéo insuffisants et nécessitant des travaux coûteux), Stage Entertainment (« Pleyel n’est pas adaptée à notre métier » estime son directeur général Laurent Benattar), un consortium Nous Production/Magma Cultura/.Mk2 Vision mené par Nathanaël Karité, ou encore le millionnaire Jacques-Antoine Granson, fondateur du site vente-privee.com et déjà propriétaire du Théâtre de Paris et du Théâtre des Variétés qui a considéré que les conditions de rentabilité n’étaient pas réunies.

Outre le manque d’équipement, le manque de loges, la dimension de la scène (jugée pas assez large et profonde pour des spectacles de grande envergure), la jauge (1 900 places), la logistique (aucun camion ne peut charger après 23 heures), les travaux nécessaires (plusieurs centaines de milliers d’euros, et un cahier des charges contraignant :(droit d’occupation octroyé « à titre précaire et révocable », obligation de rester un lieu haut de gamme au rayonnement international), les incertitudes judiciaires pourraient rendre le terrain encore plus miné qu’il ne l’est déjà.

Quoiqu’il en soit, la Cité de la Musique a fait savoir que son conseil d’administration sera en mesure d’annoncer début 2015 l’opérateur retenu. Rendez-vous dans quelques semaines pour le prochain épisode…

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