Le transfert des prérogatives de la Hadopi au CSA repoussé
Décidément, l’après-Lescure a du mal à se concrétiser. Le transfert des missions de la Hadopi au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, préconisé par le rapport et qui semblait sur le point d’être entériné, est retardé. La suppression de la Haute Autorité au profit du CSA devait être votée par le Parlement dans quelques semaines, c’est en tout cas ce qu’avait annoncé la ministre de la Culture. L’affaire était entendue puisque le chef de l’Etat lui-même, recevant récemment les professionnels du cinéma à l’Elysée, le leur avait assuré. Avec le soutien d’Aurélie Filippetti, David Assouline, vice-président de la commission des affaires culturelles au Sénat et partisan d’un transfert au plus vite des missions de l’Hadopi au CSA, voulait profiter de l’examen du projet de loi sur l’indépendance de l’audiovisuel public le 1er octobre – dont il est le rapporteur, pour déposer un amendement en ce sens.
Mais l’initiative – un « cavalier législatif » (à savoir un article qui n'a rien à voir avec le sujet traité par le projet de loi, méthode souvent utilisée pour faire passer des dispositions législatives sans éveiller l'attention de ceux qui pourraient s'y opposer) – n’a pas fait l’unanimité dans les rangs de la majorité. Plusieurs députés, voyant le débat échapper à l’Assemblée nationale, ont pris position contre cet amendement, notamment Patrick Bloche et Christian Paul (« C’est Hadopi saison 4. Avec le gouvernement de gauche cette fois-ci, et un gros risque de ridicule » a déclaré ce dernier). « Lorsqu’on connaît les moyens humains et financiers du CSA, on ne peut que s’inquiéter de la naissance d’un géant du contrôle des contenus sur le net en France », avaient réagi, de leur côté, les Jeunes Socialistes, dans un communiqué le 12 septembre. Ils ne sont pas seuls à y voir une manœuvre pour permettre au CSA de devenir le régulateur d’Internet.
La méthode et les arguments…
Au-delà de la question du transfert en lui-même, c’est la méthode choisie et sa précipitation qui est contestée. « Cette loi ne nous semble pas être l’endroit idéal, surtout en urgence et en deuxième lecture » considère le SPI (Syndicat des producteurs de cinéma indépendants). Certains y ont vu une façon de faire passer « en douce » et en accéléré le transfert de l’Hadopi. D’autant que le président du CSA, Olivier Schrameck, auditionné le 10 septembre au Sénat, avait plaidé l’urgence en argumentant sur une modification du comportement des internautes se traduisant par « une extension massive du téléchargement », sur un « risque de dispersion et d’affaiblissement des compétences techniques et de l’expérience acquise » par l’équipe de la Hadopi, et la nécessité d’assurer la continuité sans passer par une réforme de structure telle que suggérée par le rapport Lescure. Egalement auditionnée au Sénat, Marie-Françoise Marais, présidente du Collège de l’Hadopi, a réfuté le constat d’Olivier Schrameck. « Il y a les chiffres. Et il y a les fantasmes » a-t-elle déclaré, en estimant qu’un transfert de la riposte graduée au CSA ne permettrait en aucun cas « d’endiguer une hausse hypothétique du piratage ». Et selon elle, allant plus loin, le CSA n’offre par les garanties suffisantes en termes d’indépendance, de représentativité, d’expertise et d’impartialité.
Un amendement qui n’a pas été déposé...
Devant les risques probables d’être retoqué par le Conseil constitutionnel (on parle aussi de pressions de Matignon), l’amendement Assouline n’a finalement pas été déposé devant le Sénat, au grand dam des industries culturelles. Les cinéastes, qui ont aussitôt réagi, se disent « abasourdis » par l’absence de l’amendement Assouline malgré l’assurance du Président de la République. Dans un communiqué, l’ARP dénonce un « recul historique dans la régulation du monde numérique » et demande « d’urgence ce transfert de compétence, ainsi que la mise en place d’amendes imaginées par la mission Lescure pour punir les internautes malintentionnés (souvent sous couvert de naïveté) vis-à-vis de la création et de son financement ». D’autres organismes ont fait part de leurs inquiétudes sur l’avenir de la riposte graduée (la SACD craint que l’incertitude « ne l’affaiblisse et la fragilise définitivement ») et le flottement dans le discours sur la lutte contre la contrefaçon. Le transfert des missions de l’Hadopi au CSA n’est pas enterré mais repoussé à une autre échéance en 2014, dans le cadre d’un projet de loi plus approprié, dont le texte sera examiné et voté par le Sénat et l’Assemblée nationale. Le débat est loin d’être clos.