Le forum e-G8 entre régulation d’Internet et propriété intellectuelle
Entrepreneurs, chefs d’entreprise, ingénieurs, penseurs, utilisateurs… A l’initiative de Nicolas Sarkozy, les acteurs de l’écosystème Internet ont été conviés au « e-G8 Forum », qui s’est tenu à Paris les 24 et 25 mai. Tout le gotha du web – 1100 personnalités dont la moitié d’étrangers – avait répondu présent : Mark Zuckerberg (Facebook), Eric Schmidt (Google), Jeff Bezos (Amazon), Rupert Murdoch (News Corp), Xavier Neel (Free), Craig Mundie (Microsoft), Niklas Zennström (Skype), John Donahoe (eBay), Rich Riley (Yahoo)… L’organisation de cette grande messe internationale du numérique avait été confiée à Publicis qui en supportait le risque financier car montée en 3 semaines et n’ayant pas fait l’objet d’appel d’offres (pour garantir aux intervenants indépendance et liberté de parole vis-à-vis du pouvoir politique, justifie l’Elysée). Et ce, pour un budget de 3 millions d’euros, financé pour 2,5 millions par les recettes issues des partenaires et sponsors (dont Orange et Vivendi au premier rang).
Séances plénières, conférences et ateliers de travail se sont succédés pendant deux jours sur « Internet et la croissance économique », « Internet et société », « Le futur du Net : et après ? », « Encourager l’innovation » et sur « La propriété intellectuelle et l’économie de la culture à l’âge digital ». « Ne laissez pas construire de nouvelles barrières là où vous avez fait tomber les vieux murs de l’ancien monde. Ne laissez pas s’installer de nouveaux monopoles là où vous avez renversé des situations acquises qui paraissaient inébranlables ! » a lancé Nicolas Sarkozy aux entreprenautes dans son discours inaugural. « L’univers que vous représentez n’est pas un univers parallèle, affranchi des règles du droit… » a ajouté le président de la République en insistant sur la responsabilité des entreprenautes, ainsi que sur le « droit des créateurs à pouvoir percevoir la juste rémunération de leurs idées et de leurs talents ». Car l’idée du forum était aussi d’appeler les décideurs à moraliser Internet et les convaincre de la nécessité de protéger les ayants droit en ligne.
Ce qui ressort des débats…
Parvenir à équilibrer les intérêts de chacun dans un monde révolutionné par Internet, est l’objectif du président de la République, qui a plaidé pour la responsabilité, le droit et la morale sur Internet, réintroduisant – sans la nommer – sa notion d’un « Internet civilisé » et réaffirmant son attachement à la protection du droit d’auteur. Mais les géants du Net – de Google à Orange en passant par Free – ont réaffirmé leur méfiance envers la régulation (tout juste admettent-ils une régulation « minimaliste »), défendu la neutralité d’Internet (estimant qu’il ne pas autoriser les FAI à discriminer les contenus selon leur origine), réclamé la garantie de la liberté d’expression sur la Toile, le maintien de l’esprit entrepreneurial du web et le soutien au déploiement des infrastructures.
Les discussions, débats, échanges et idées produites pendant ces deux jours de cette grand messe du web ont été rapportées le lendemain au G8 qui s’est déroulé les 26 et 27 mai à Deauville où les chefs d’Etat avaient décidé d’inscrire Internet à l’agenda de leur sommet. Une première ! Maurice Levy, président du directoire de Publicis, a présenté les conclusions de l’e-G8 Forum aux chefs d’Etat : l’attachement à un Internet libre, le respect de la propriété intellectuelle et des droits d’auteur, réguler Internet mais pas trop (cela ne doit pas être un frein au développement), trouver de grands principes sur le respect de la vie privée et la protection des données personnelles, enfin régler le risque de « thrombose » des réseaux posé par l’augmentation exponentielle des flux.
Les avis sont mitigés quant à l’impact réel de ce forum, où l’on notera la difficulté à établir un consensus entre les participants. La déclaration finale du G8 de Deauville évoque Internet mais de manière très générale. « S'agissant de la protection de la propriété intellectuelle, en particulier des droits d'auteur, des marques déposées, des secrets commerciaux et des brevets, nous reconnaissons que nous devons mettre en place des législations et des cadres nationaux pour en améliorer le respect. (... ) » indiquent néanmoins les chefs d’Etats en se félicitant de la tenue du forum à la veille de leur sommet. Ils renouvellent leur engagement « à prendre des mesures fermes contre les violations des droits de propriété intellectuelle dans l’espace numérique, notamment par des procédures permettant d’empêcher les infractions actuelles et futures ». En ce qui concerne, le renforcement des contributions fiscales des entreprises Web dans les pays où elles vendent produits ou services, l’un des points défendus par Nicolas Sarkozy, il est totalement absent de la déclaration de Deauville. Le président français, suivi en ce sens par les autres chefs d’Etat, a formulé le souhait de renouveler l’expérience, d’organiser un e-G8 Forum chaque année, qui se tiendrait au même moment que le G8.
Le secteur de l’Internet contribue en moyenne à 3,4 % du PIB 2009 dans 13 pays (ceux du G8 et la Chine, l’Inde, le Brésil, la Corée du Sud et la Suède) et à 21 % de la croissance de 9 d’entre eux sur cinq ans, selon une étude McKinsey dévoilée lors du forum. Elle affirme qu’Internet a un impact positif sur l’emploi (2,6 postes créés contre 1 poste détruit) et souligne aussi que les Etats-Unis capturent à eux seuls 30 % des revenus liés à Internet et près de 40 % des profits.