La mission Lescure dresse son bilan d’étape
La ministre de la Culture Aurélie Filippetti et Pierre Lescure ont tenu un point presse le 6 décembre pour présenter un bilan d’étape de la mission sur l’« Acte II de l’exception culturelle », dont les auditions (une centaine d’organismes ou personnalités au total, dont 60 déjà entendus) se poursuivent jusqu’en janvier, contraintes d’agenda obligent. Nous en retenons ici ce qui concerne plus particulièrement la musique, dont le rapport souligne une offre « dans l’ensemble riche et de qualité », avec 40 plateformes dont 7 qui proposent plus de 15 millions de titres, tout en notant que la progression des ventes numériques ne compense toujours pas l’érosion des ventes physiques.
Le développement de l’offre légale
Présentant les grands axes de ses travaux, Pierre Lescure n’a pas fait d’annonce majeure mais esquissé les pistes envisagées, en attendant les propositions qui seront formulées en mars 2013. Concernant l’offre légale en ligne (« le meilleur argument pour répondre au piratage »), l’ex-patron de Canal+ l’estime satisfaisante mais améliorable (« faire en sorte que les appétits des usagers soient satisfaits »). La mission relève que « les attentes des internautes à l’égard de l’offre culturelle en ligne sont, de fait, très élevées » et note la résistance des industries culturelles nationales qui profite à des acteurs étrangers, notamment iTunes qui concentre 50 % du marché de la musique. « Cette prédominance américaine soulève des problèmes de souveraineté économique et culturelle » note la mission. Elle pointe la concurrence des géants du Net « jugée inéquitable » et estime que « la France doit protéger ses industries de contenu en se dotant de mécanismes de régulation et de compensations adaptés ». Egalement évoqué, le faible consentement des internautes à payer pour des contenus, qui constitue un frein majeur au développement de l’offre légale. De fait, les services de streaming par abonnement permettant l’accès à toute la musique en ligne pour un prix relativement modique « ne rencontrent qu’un succès modéré ».
Hadopi et la lutte contre la contrefaçon
Quant à l’avenir d’Hadopi, dossier qui est à l’origine de cette mission, Pierre Lescure laisse présager de l’abandon de la riposte graduée (du moins dans sa phase pénale), « qui fait l’objet de nombreuses critiques » et jugée inefficace, même s’il est « probable qu’une proportion significative des internautes qui ont cessé de télécharger ne P2P se soit tournée vers d’autres types de pratiques non surveillées (streaming ou téléchargement direct ». La mission veut s’attacher davantage à la lutte contre la contrefaçon en s’intéressant à ses véritables bénéficiaires. Les trois pistes réglementaires qu’elle reprend à son compte : faire pression sur les intermédiaires techniques (« en les obligeant à retirer promptement les contenus illicites et à prévenir leur réapparition, et en renforçant la coopération judiciaire internationale pour punir les sites récalcitrants »), déréférencer l’offre illégale (réduire sa visibilité en agissant sur le référencement par les moteurs de recherche, le cas échéant avec le concours de la force publique) et assécher les sources de revenus des sites contrefaisants en responsabilisant les intermédiaires : annonceurs, régies, services de paiement en ligne.
Adaptation des financements, des statuts et des droits
Constatant « une dévalorisation des œuvres culturelles et un déplacement de la valeur des contenus vers l’aval et vers les services », Pierre Lescure entend le contenir afin de « maintenir un équilibre vital ». Parmi les réponses évoquées : réviser les mécanismes de financement et d’aides à la création jugées, pour certaines, inadaptées, mais aussi « revenir sur certains statuts, dont celui des hébergeurs », que la mission souhaite responsabiliser davantage. Considérant qu’ils ne sont pas des « tuyaux neutres » (« Quand YouTube recommande des choses à l’utilisateur, il est plus qu’un hébergeur et sort de la neutralité »), elle entend faire évoluer leur régime, tout en assurant qu’ « il ne s’agit pas de chercher n’importe quelle formule pour pouvoir les taxer ».
Enfin, la mission Lescure se prononce pour la défense du droit d’auteur, mais tout en souhaitant des réaménagements. Estimant que les exceptions au droit d’auteur (chantier sur lequel vient de plancher l’Hadopi) « peinent à appréhender correctement l’ensemble des usages numériques », elle fera des propositions, comme de passer par de nouveaux dispositifs de protection et de « faciliter le recours aux licences libres pour les créateurs qui le souhaitent ». Pierre Lescure écarte l’idée d’une légalisation des échanges entre particuliers ou non marchands, demandée par certains, via une licence globale ou une « contribution créative », considérant qu’une telle mesure « fait l’objet d’un rejet quasi général » et « conduirait à déconnecter le paiement des usages et risquerait de cannibaliser l’offre légale commerciale et de décourager l’innovation ».