Jour de deuil pour le patrimoine sonore, selon Patrick Frémeaux
Patrick Frémeaux, directeur de Frémeaux et Associés, voit dans l’allongement des droits voisins adopté par Bruxelles « un grand jour pour l’industrie phonographique et ses plus grands interprètes…, un jour de deuil pour le patrimoine sonore ». Dans un (long) communiqué ainsi titré, il commente la directive en deux points de vue opposés. « La nouvelle est bonne pour les major companies (peu d’indépendants ont 50 ans de production et l’indépendance économique à leur actif), qui pourront jouir pleinement de l’exclusivité de leur fonds de catalogue. Cette situation est d’ailleurs plutôt saine, voire loyale, au vu du préjudice subi par l’industrie du disque ces dix dernières années – principalement en raison du téléchargement illégal qui a restreint les revenus des acteurs de la filière musicale et porté atteinte à la réalité du droit de la propriété intellectuelle et commerciale. On peut même penser que l’Europe en tant que législateur, après s’être désolidarisée de la production phonographique tout entière en refusant de qualifier pénalement de vol le téléchargement illégal (comme moyen d’attraction pour le développement d’Internet), redonne aujourd’hui un titre de propriété élargi aux producteurs et aux artistes interprètes », estime-t-il.
Patrick Frémeaux considère qu’en revanche, « la journée du 12 septembre 2011 sera celle d’un enterrement de la diversité culturelle du patrimoine sonore (musical, parlé, théâtral, etc.) pour tous les enregistrements commençant au 1er janvier 1962 ». Il fait valoir que cette mesure bénéficie aux grands interprètes français et internationaux ainsi qu’à leurs maisons de disques, « mais interdit de fait à tous les artistes dont l’importance culturelle est pourtant supérieure à la réalité économique – le plus grand nombre – de pouvoir rééditer leurs œuvres passées, avec le concours de maisons de disques indépendantes ou de majors ». Il estime que moins d’un pour cent (1 %) du patrimoine enregistré pourra désormais être disponible sous forme physique, « puisque leur exploitation actuelle n’entre pas dans l’économie d’échelle des major companies », qui « ont pour politique commerciale de ne jamais licencier des titres ou des artistes (dont les ventes seraient trop faibles pour elles) à des maisons de disques indépendantes ».
Frémeaux & Associés regrette que sa proposition de domaine public payant pour le droit interprète et le droit voisin, qui aurait pu être calquée sur la gestion collective des droits d’auteur, n’ait pas été retenue en 2008 par Christine Albanel, alors ministre de la culture. « Cette mesure aurait permis de rémunérer légitimement les producteurs et les interprètes, tout en laissant l’initiative de diffusion à des entreprises de toutes tailles économiques » souligne Patrick Frémeaux. « Il est fort probable que cette idée législative verra le jour dans 10 à 20 ans, lorsque les experts en économie culturelle auront constaté la disparition de notre patrimoine sonore », conclut-il.