Gestion collective de la musique en ligne : l’impasse… ?
La médiation confiée à Emmanuel Hoog par le gouvernement à propos de l’instauration d’une gestion collective des revenus de la musique en ligne est au point mort. Les trois réunions prévues, dont la dernière s’est tenue le 28 octobre, n’ont abouti à aucun consensus entre les acteurs concernés. Le point sur leurs positions et propositions respectives. Rappelons que si elle est aujourd’hui proposée comme « volontaire », la gestion collective deviendrait « obligatoire » en cas d’échec de la médiation, a prévenu et réaffirmé à plusieurs reprises le gouvernement.
Un principe non négociable pour les producteurs
Le blocage vient des producteurs phonographiques qui – dans leur ensemble (majors et indépendants, Snep et Upfi) – refusent la perspective d’un guichet unique délivrant les licences, car elle leur imposerait de renoncer à leur pouvoir de négociation de gré à gré avec les plateformes de musique en ligne au profit de conditions d’accès aux catalogues fixées définitivement et de tarifs identiques pour tous. Les producteurs l’ont clairement réaffirmé : ils ne veulent pas transiger sur ce point. Dans leurs propositions remises à Emmanuel Hoog, ils bottent en touche en s’engageant à quelques concessions pour désamorcer la situation. Vivement critiqués sur le montant des avances exigées par certains pour la mise à disposition de leur catalogue sur les plateformes, ils se disent notamment disposés à publier leurs conditions générales de vente (que beaucoup estiment disproportionnées par rapport aux réalités du marché), à rémunérer les artistes « sur les éventuelles fractions d’avances non remboursables reçues des plateformes qui ne seraient pas récupérées à l’issue de la période convenue » et à distinguer les différents modes d’exploitation dans les déclarations semestrielles de redevances. Mais la gestion collective de la musique en ligne est, pour les producteurs, non négociable. Tout juste, consentent-ils à la mise en place d’une gestion collective volontaire de leurs droits pour les activités de webcasting.
Les plateformes veulent un « droit mixte »
De leur côté, les éditeurs de services de musique en ligne – qui ont remis 33 pages de propositions à Emmanuel Hoog – entérinent l’adoption d’un régime de gestion collective volontaire du streaming et du téléchargement, qu’ils estiment nécessaire pour mettre fin aux problématiques rencontrées : conditions d’accès aux catalogues et rémunération des producteurs jugées exorbitantes, marché fermé aux nouveaux entrants, nécessité de préserver les marges des opérateurs français fiscalement défavorisés face à une concurrence qualifiée de déloyale. Les plateformes veulent des garanties sur l’accès aux catalogues (exigeant notamment la présence des dix principaux producteurs, incluant les quatre majors). Soucieuses de la neutralité économique d’une gestion collective, elles réclament la mise en place d’un « droit mixte » entre les droits de représentation et de reproduction, adapté au média Internet et qui couvrirait tous les modes de « mise à disposition interactive ». « Chaque usage, chaque modèle économique, chaque comportement nécessite la négociation d’une cinquantaine d’accords avec les producteurs. De plus, ces négociations de gré à gré engendrent une hétérogénéité de conditions économiques qui nuit au développement des plateformes » constatent les éditeurs de services en ligne, qui dénoncent les distorsions du marché et les minima garantis imposés par les producteurs (parfois supérieurs au prix public HT du téléchargement ou de l’abonnement).
Le partage du gâteau numérique remis en cause
Les plateformes remettent aussi en cause le partage du gâteau numérique et proposent de reverser 50 % aux producteurs, déduction faite des frais commerciaux pour les services financés par la publicité (30 %), des frais techniques (10 %), des droits d’auteur (au réel) et des frais bancaires (au réel). « Dans le marché physique, pour un producteur distribué par un tiers, la marge brute après coût de fabrication, de logistique et de distribution est respectivement de 19 % et 28 % du prix public HT sur les singles et les albums. Dans le marché numérique, avec 50 % de reversement, ce taux devient 31 % du prix public HT, quel que soit le format. Notre proposition de rémunération proportionnelle confère donc aux producteurs un bonus de 3 % à 11 % du prix public HT » font valoir les éditeurs de services.
La Sacem veut revaloriser les droits d’auteur
Les auteurs, compositeurs et éditeurs de musiques ne veulent pas que leurs droits servent de « variable d’ajustement dans la détermination des équilibres économiques entre ayant droits et exploitants ». La Sacem fait connaître, elle aussi, ses revendications. Elle rappelle que le taux de 8 % du prix public HT appliqué au téléchargement payant au titre des droits d’auteur n’était que provisoire (pour aider au démarrage des services de musique en ligne) et souhaite le porter à terme à 12 %. Idem pour le taux de 6 % des recettes, actuellement appliqué aux webradios (avec un minimum de 1 500 € par an et par canal). Quant au streaming, la Sacem revendique 10,5 % des recettes du site (avec un minimum garanti de 0,005 € par stream dans le cas d’un financement par la publicité, de 0,35 € par mois et par abonné dans le cas des abonnements et de 0,70 € pour les offres accessibles depuis un téléphone portable).
Les artistes-interprètes sont pour
L’Adami s’est prononcée ouvertement en faveur d’une gestion collective volontaire de tous les revenus du numérique. Elle propose un nouveau partage des revenus en fonction d’un « coefficient d’interactivité ». En amont, les plateformes contribueraient à hauteur de 12,5 % de leur chiffre d’affaires pour les webradios, de 20 % pour les radios semi-interactives, de 50 % pour le streaming et le téléchargement gratuit, et de 65 % pour le streaming et le téléchargement payant. En aval, le partage entre producteurs et artistes serait de 50/50 pour les webradios, 60/40 pour les radios semi-interactives, 66/33 pour le streaming et le téléchargement gratuit, et 71/28 pour le payant. Ces propositions remettraient en cause les contrats d’artistes signés par les labels. Pour sa part, le Snam-CGT n’est pas opposé à la gestion collective de la musique en ligne mais ne veut pas occulter pour autant la question de la création de valeur. « On ne peut pas ignorer les craintes exprimées par les entreprises de production de voir leur modèle économique bouleversé si elles devaient perdre la maîtrise individuelle des conditions de mise sur le marché numérique des phonogrammes qu’elles produisent » explique le syndicat d’artistes. Devant l’opposition des producteurs à une gestion collective volontaire, la Spedidam s’inscrit dans la perspective d’une gestion collective obligatoire, qui permettrait de revaloriser les droits des artistes-interprètes non principaux, lesquels ne perçoivent rien sur phonographique l’exploitation numérique des enregistrements auxquels ils contribuent (la cession contractuelle de leurs droits en contrepartie du cachet qu’ils reçoivent est considérée par la Spedidam comme une « expropriation intellectuelle »).
Les managers veulent une « charte de bonnes pratiques »
Quant aux managers d’artistes, s’ils ne sont pas favorables à une gestion collective volontaire, ils dénoncent l’absence de transparence dans la répartition des revenus du numérique. « L’assiette contractuelle se réfère, soit à un « prix de gros numérique » qui ne figure pas au catalogue des producteurs, soit plus généralement aux sommes nettes encaissées par les producteurs, après déduction de frais éventuellement à leur charge, sans qu’aucune liste exhaustive de ces frais déductibles ne soit mentionnée » déplore MMFF. Devant l’impossibilité pour les artistes et leurs managers de pouvoir vérifier les décomptes qui leur sont soumis, le syndicat souhaite mettre en place une « charte de bonnes pratiques » avez les organisations d’artistes-interprètes principaux et les syndicats de producteurs et que soient définies des assiettes de rémunération standard, selon le type de service concerné et le modèle de rémunération des producteurs.