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Exception culturelle : résumé des récents épisodes

2 Juillet 2013 , Rédigé par Gildas Lefeuvre Publié dans #Economie & marché

L’exception culturelle défendue par la France, qui refuse d’inclure l’audiovisuel dans les négociations des accords de libre-échange avec les Etats-Unis, a été ces dernières semaines au cœur de l’actualité. Synthèse de la mobilisation, après que les eurodéputés aient décidé le 23 mai d’exclure les services culturels et audiovisuels, y compris en ligne, du mandat de la Commission européenne.

La Sacem mobilise les créateurs

La Sacem a lancé une pétition auprès des créateurs de la musique pour qu’ils soutiennent la position du Parlement européen et appellent solennellement les chefs d’Etat et de gouvernements de l’Union à se prononcer dans ce sens. Soutenue par les organismes de la filière musicale (à l’exception des producteurs phonographiques, restés en retrait), la pétition a recueilli la signature de plus de 500 artistes, parmi lesquels Anaïs, Keren Ann, Charles Aznavour, Richard Bona, Ludovic Bource, Brigitte, Francis Cabrel, Alain Chamfort, Julien Clerc, Paolo Conte, Bruno Coulais, Da Silva, Gérald De Palmas, Alexandre Desplat, Pascal Dusapin, Thomas Dutronc, Marianne Faithfull, Grand Corps Malade, Grégoire, Jean-Michel Jarre, Maxime Le Forestier, Nolwenn Leroy, Ibrahim Maalouf, Bruno Mantovani, Jean-Jacques Milteau, Ennio Morricone, Orelsan, Passi, Luc Plamondon, Oxmo Puccino, Renaud, Bob Sinclar, Nicola Sirkis, Soprano, Alain Souchon, Tryo, Gabriel Yared, Zaz, Zazie…

« Ce serait tout un pan des politiques de l’Union européenne qui serait compromis si l’exclusion de ces services n’était pas assurée, instaurant par exemple le danger pour le secteur de la musique d’une remise en cause des quotas radios qui ont joué un rôle crucial pour la maintien de la diversité sur les ondes » fait valoir la Sacem, qui souligne la nécessité de « préserver, à l’égard des traditions différentes qui prévalent aux Etats-Unis, les spécificités du modèle européen de gestion collective ou de la rémunération pour copie privée qui contribuent à la promotion de la création en Europe ».

Une demande non négociable

La ministre française de la Culture, Aurélie Filippetti a fait savoir que le gouvernement « ne cèdera pas » sur cette question. Le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a déclaré à l’Assemblée nationale que le France utiliserait son « son droit de veto politique » s’il le fallait. « L’exception culturelle ne se négocie pas » a insisté la ministre du Commerce extérieur, Nicole Bricq. Jusqu’à l’ancienne ministre de la Justice, Rachida Dati, qui a réclamé la démission du président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, l’accusant d’ « inefficacité » et de « se coucher » devant les Etats-Unis avant même que les négociations ne commencent ».

La France a mobilisé, fait pression, menacé de faire échouer les négociations si l’audiovisuel et la culture n’étaient pas exclus du mandat de la Commission. Un bras de fer motivé par la crainte d’une décision défavorable du conseil des ministres européens du commerce le 14 juin. Les cinéastes européens dont une délégation s’est rendue à Strasbourg se sont déclarée « très très très déçus » à l’issue d’une rencontre houleuse avec José Manuel Barroso. L’Union européenne de radiodiffusion (UER) a défendu elle aussi l’exception culturelle. Elle craint notamment qu’une libéralisation des échanges ne remette en question des aides à la production ou des quotas d’œuvres européennes, rappelant que les Etats-Unis exportent en Europe 7,5 milliards de dollars de services audiovisuels, tandis que l’UE n’en exporte chez eux que 1,8 milliard.  

Les 27 ministres du Commerce soutiennent la France

La mobilisation française a visiblement porté ses fruits puisque le 14 juin, à l'issue de plus de 12 heures de négociations, les 27 ministres du Commerce européens réunis à Luxembourg se sont mis d'accord pour exclure le secteur audiovisuel du mandat de négociation commerciale avec les Etats-Unis. Le compromis final prévoit que l'audiovisuel pourra être ajouté « plus tard » dans le mandat de négociations, a toutefois laissé entendre Karel De Gucht, commissaire européen chargé du Commerce. Il ne serait donc que provisoire, mais Aurélie Filippetti s’est empressé de préciser, dans un communiqué daté du 15 juin, que « toute évolution du mandat de négociation exigera un accord unanime de l'ensemble des pays de l'Union Européenne » et qu’aucune concession ne sera faite.

NB : L’article 207 du traité européen impose l’unanimité pour toute décision concernant la « diversité culturelle ».

« Depuis 20 ans, l'exception culturelle et l'exclusion du secteur audiovisuel ont permis aux pays européens de soutenir leurs industries culturelles, sans fermer leur marché aux productions culturelles américaines. L'exception culturelle permet avant tout de favoriser une offre culturelle diversifiée : elle est un facteur de développement de la créativité et non de fermeture. Ce moment est un moment de victoire pour la culture, auquel le gouvernement français associe tous les professionnels qui se sont mobilisés ces dernières semaines.» s’est félicitée la ministre de la Culture. Une victoire certes, « mais il faut rester vigilants et mobilisés » a ajouté Aurélie Filippetti, en s’attendant à d’autres offensives

Malentendu ou provocation

L’exclusion de l’audiovisuel dans les négociations avec les Etats-Unis n’est pas du goût de José Manuel Barroso. « Cela fait partie d’un agenda anti-mondialisation que je considère comme complètement réactionnaire » a réagi le président de la Commission européenne dans un entretien à l’International Herald Tribune, en n’excluant pas que le sujet soit remis sur le tapis. Des propos jugés « absolument consternants », « inacceptables », « scandaleux », « inadmissibles », « stupéfiants et intolérables » par l’ensemble de la classe politique et des organisations de la culture.

La Commission « est en train de mener un combat pratiquement anti-démocratique », selon Jean-Noël Tronc, directeur général de la Sacem, qui a appelé à la mise en place d’une coalition des auteurs au niveau européen pour veiller à ce que la volonté démocratique européenne soit respectée. « Quand on défend la diversité culturelle, on n’est pas réactionnaire, on est dans un combat d’avenir » estime pour sa part Michel Barnier, commissaire européen au Marché intérieur. « Notre position n’est pas défensive, n’est pas conservatrice et encore moins réactionnaire, c’est position résolument moderne parce que sans exception culturelle, nous ne pourrons pas remplir le défi qui s’ouvre à nous, à savoir la transition de nos outils de régulation du secteur économique de la culture à l’ère du numérique » explique Aurélie Filippetti. Et Rachida Dati en rajoute : « Si la France est réactionnaire, M. Barroso est lui un obscurantiste vendu aux lobbies et aux multinationales. Il ne supporte pas que la France défendre sa culture face à l’uniformisation américaine ». Pour Jean-Marc Ayrault, défendre l’exception culturelle n’a « rien de réactionnaire » mais témoigne au contraire d’une « ouverture aux cultures du monde ». Il souligne que la France n’est pas isolée, qu’« elle s’est battue avec conviction et a emporté l’adhésion ».

Noms d’oiseaux, méchancetés et attaques personnelles se sont mis à pleuvoir depuis quinze jours entre Paris et Bruxelles… Le président de la Commission européenne, surpris par l’ampleur de la polémique, tente de désamorcer la situation et parle de malentendu. « Je suis favorable à l’exception culturelle ; c’est même un concept sacré pour moi (…). Mes déclarations ont été délibérément déformées. Mes remarques portaient sur la mondialisation », assure J.M. Barroso.

A suivre…

Il n’empêche. Pour beaucoup, la vraie bataille de l’exception culturelle ne fait que commencer. « Nous risquons subrepticement de voir revenir par la petite porte la menace que nous avons écartée en fermant la grande », craint Frédéric Hocquart, secrétaire national à la culture du Parti Socialiste. « Le risque est d’autant plus grand que les géants américains d’Internet, les Google, Apple, Facebook ou Amazon, qui tirent aujourd’hui les plus gros bénéfices de la diffusion de contenus culturels sans contribuer à leur financement ni même payer d’impôts en France, vont continuer à faire pression pour obtenir la dérégulation totale du marché », pressent-il dans une tribune à Mediapart, en suggérant que l’Europe « soutienne mieux ses créateurs en mettant en place un +fonds européen de la culture+, financé par la taxation des flux de données, puissants pourvoyeurs de contenus culturels ».

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