Copie privée : les parlementaires se saisissent du dossier
La rémunération copie privée a fait l’objet d’une table ronde le 21 novembre, organisée en urgence par la Commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale. « Nous avons été interpellés par la démission de 5 des 6 représentants des industriels au sein de la commission copie privée, nous montrant que ce qu’on a mis en place l’an dernier (la loi du 20 décembre 2011 - ndlr) n’est pas un long fleuve tranquille. La représentation nationale doit être éclairée et informée. Cette interpellation nous portera peut-être à écrire ou réécrire une nouvelle loi pour pérenniser le dispositif » a expliqué d’emblée son président Patrick Bloche. Intervenaient à la tribune Laurent Petitgirard, président du conseil d’administration de la Sacem, Pascal Rogard, directeur général de la SACD, Edouard Barreiro, directeur des études à UFC Que Choisir, et Bernard Heger, délégué général du Simavelec, devant les députés qui ont réagi, commenté et questionné. Synthèse.
Sur la vocation de la rémunération et la réparation du préjudice...
Les divergences s’expriment déjà sur le fond, à savoir la vocation de la rémunération copie privée. « Les textes européens l’entendent comme la réparation d’un préjudice. En France, on l’entend autrement » souligne Bernard Heger (Simavelec). Patrick Bloche lui-même la considère une exception au droit d’auteur. Les industriels y voient une dérive de l’esprit de la loi, prenant en compte l’ensemble des usages de copies, y compris illicites, et demandent à ce que la directive européenne soit respectée : « le préjudice, rien que le préjudice ». Mais sur la réparation de celui-ci, encore faut-il pouvoir l’estimer et par qui ? Les avis s’opposent. Ce sont 193 M€ qui ont été collectés en 2011, pour un préjudice évalué en France à 52 M€ par l’étude Eight Advisory, dont les résultats sont réfutés par les ayants droit. « Le décalage est très alarmant » juge Isabelle Attard (Groupe écologiste). « Ce n’est pas à ceux qui subissent un préjudice de décider du montant de sa réparation » s’offusque Bernard Heger, qui demande à ce qu’il soit évalué par une autorité indépendante de toutes les parties, appuyée par des avis d’experts.
Sur le rôle des « 25 % culturels »...
Les ayants droit ont à nouveau souligné la nécessité du dispositif en ce qu’il contribue au financement de la création (5 000 manifestations soutenues dans l’année). Ce que personne ne conteste. Les industriels vont même bientôt faire des propositions sur cet aspect, annonce le Simavelec. « Mais est-ce bien le rôle de la rémunération copie privée et pourquoi ? » demande Isabelle Attard. « Soutenir la création, c’est au Gouvernement de le faire, dans le cadre de sa politique culturelle. Le financement de la culture doit être entre les mains des institutions de l’Etat, pas dans celles des ayants droit » estime Edouard Barreiro (UFC Que Choisir). Il y voit un dérapage, comme pour la taxe FAI qui revient au CNC et qui a considérablement augmenté. « On parle de perte de valeur, alors que les perceptions des sociétés d’auteur ne baissent pas. Quelle hypocrisie ! » ajoute-t-il en demandant un « audit sur l’argent de la culture ». Le président de la Sacem, Laurent Petitgirard, convient lui-même que les 25 % de la copie privée sont « un palliatif aux aides que ne verse plus le ministre de la Culture ». Et Lionel Tardy (député UMP) s’interroge : « Si c’est vraiment un préjudice, pourquoi ces 25 % à la création ? Ce sont 100 % qui devraient revenir aux ayants droit, pas 75% ».
Sur le fonctionnement de la commission...
Sur la forme, l’équilibre des forces en présence au sein de la commission copie privée reste un point régulièrement contesté, tant par les industriels (fabricants et importateurs d’appareils et supports de stockage) que par les consommateurs. « Nous ne pouvons pas accepter le fonctionnement de la commission avec des ayants droit qui fixent tout, ni leur méthodologie instable » explique Edouard Barreiro, en rappelant que finalement « ce sont les consommateurs qui payent la rémunération copie privée, pas les industriels ». Les ayants droit arguent de la composition paritaire de la commission, où siègent 12 représentants d’ayants droits, 6 représentants d’industriels et 6 organisations de consommateurs, avec la voix prépondérante du président. Une gouvernance paritaire dans sa forme mais qui est loin de l’être dans les faits, dénonce l’autre camp. Pour l’UFC Que Choisir, « une vraie parité serait : 12 ayants droits, 12 industriels et 12 consommateurs ».
Sur l’exonération des usages professionnels...
Autre point de division, l’exonération des usages professionnels. « La loi européenne dit : ils ne doivent pas être assujettis. La loi française dit : ils seront remboursés » s’insurge le Simavelec, qui dénonce une dérive dans l’application de cette exonération, et les difficultés, voire les impossibilités, à obtenir remboursement. « Il y aurait normalement 40 M€ à être remboursés et seulement 60 000 € de demandes » s’interroge Lionel Tardy. « Combien de millions d’euros sont actuellement en souffrance ? Et pourquoi Copie France ne liste pas les entreprises exemptées ? Au moins, ce serait clair ». Les ayants droit répondent que 2 000 conventions d’exonération ont été signées mais que 67 500 € de remboursements sont bloqués car l’Etat n’a pas encore tranché sur la question de la TVA. Sur le fond, Pascal Rogard, directeur général de la SACD, ira jusqu’à indiquer que les exonérations ont été au départ prises en compte pour le calcul global de la copie privée et que « si on fonctionne autrement, il va falloir augmenter tout le reste »…
Vers une réforme du dispositif
Devant cette agitation, les oppositions récurrentes entre les redevables et les bénéficiaires de la rémunération copie privée, et les nombreux arrêts du Conseil d’Etat annulant les décisions de la commission (décisions 7, 8, 9, 10 et 11, « bientôt la 13 » assure le Simavelec), les députés – quelle que soit leur appartenance politique – semblent s’accorder sur la nécessité d’une adaptation du dispositif. « L’idée n’est pas d’élargir l’assiette de manière indéfinie », considère Patrick Bloche. Pour son confrère Hervé Féron (SRC), le système doit être corrigé et adapté. « Le montant de la rémunération copie privée a beaucoup évolué ces dernières années. Sur quelle base ? Vous avez d’autres exemples de commissions où ce sont les ayants droit eux-mêmes qui fixent les barèmes ? Moi, pas ! Il y a un manque de transparence absolu. Ne peut-on pas tout remettre à plat ? » demande Isabelle Attard. « Etes-vous prêts à mettre en place un collège d’arbitrage et de conciliation ? » questionne Thierry Braillard (RRDP).
Christian Kert (UMP) résume : « L’urgence de la situation ne doit pas éluder la nécessité d’une réforme. Le chantier a été laissé pour compte mais on ne peut pas rester dans l’impasse. Un an après, on se retrouve à la case départ. Nous avons deux problèmes : des doutes sur la vocation même de cette rémunération, la loi de 85 n’étant plus du tout adaptée aux nouvelles technologies, et la gouvernance de la commission, qui biaise son fonctionnement ». Il souligne que « la rémunération ne doit pas être détournée de sa vocation première pour compenser les effets de la révolution numérique ». D'ores et déjà, le groupe UMP demande l’audition de la ministre de la Culture et du ministre du Budget, « qui reste silencieux », et veut « savoir si le gouvernement envisage de réconcilier les deux parties ». Malgré l’hostilité clairement affichée des ayants droit, la perspective d’une réforme ou d’une adaptation du dispositif se dessine bel et bien.