Copie privée : course contre la montre et projet de loi en urgence (1)
Panique autour du dispositif de copie privée ébranlé par un arrêt du Conseil d’Etat rendu en juin. Craignant l’effondrement du système, le ministère de la Culture – défendant bec et ongles les ayants droit – a concocté en urgence un projet de loi qui devrait être voté à la mi décembre. Un « pansement » convient Frédéric Mitterrand, destiné à colmater les brèches alors qu’une réforme complète est réclamée mais sans cesse repoussée. Rappel des enjeux, des inquiétudes et des épisodes du feuilleton qui se joue depuis plusieurs mois.
La rémunération copie privée (RPC) – instituée par la loi du 2 juillet 1985 – a rapporté en France environ 189 millions d’euros en 2010. Un gâteau plus qu’appréciable, en ces temps de crise, pour la filière musicale qui en bénéficie en grande partie. Celle-ci, de façon récurrente, souligne l’importance du dispositif pour la création (argument imparable : 25 % de la RPC sont consacrés au soutien à la création et la diffusion, 5 000 actions culturelles ont ainsi été aidées l’an dernier sur l’ensemble du territoire pour un montant global de 47 millions d’euros) mais parle peu des 75 % restants qui agrémentent les revenus des auteurs, compositeurs, éditeurs, artistes et producteurs phonographiques (un argument moins porteur…).
Un dispositif ébranlé
Attaqué régulièrement par les recours des industriels, le dispositif a été ébranlé par l’arrêt rendu le 11 juin dernier par le Conseil d’Etat, qui exempt les supports acquis à des fins professionnelles de l’application de la redevance et annule la décision n° 11 du 17 décembre 2008 qui fixait les taux de rémunération. Annulation reportée au 22 décembre 2011, avec donc six mois accordés à la commission copie privée pour revoir sa copie et laisser le temps aux organismes concernés pour trouver une solution et remettre à plat le dispositif.
Le ministère de la Culture a lancé un appel d’offres (ouvert jusqu’au 25 août) pour une étude d’usage objective, telle que le demandait le Conseil d’Etat), mesurant comment et sur quoi les Français réalisent des copies. Mais le délai a été jugé insuffisant par la Rue de Valois, aucun institut de sondage n’étant en mesure de tenir le budget accordé (125 000 euros). Du coup, les ayants droit ont proposé le 13 septembre de financer intégralement cette étude (pour un coût total passant à cette fois à plus de 380 000 euros). Indépendamment du budget, le délai était trop court pour rendre l’étude dans les temps, les ayants droit devant en attendre les résultats pour redéfinir les taux de rémunération.
Le ministère de la Culture n’a pas caché son inquiétude, considérant que, eu égard à l’importance des sommes en jeu, les décisions du Conseil d’Etat risquaient de perturber profondément le dispositif de rémunération, qu’il en résultait une « grave incertitude pour les ayants droits » et que cela « pourrait entraîner un préjudice majeur pour ces derniers et mettre en péril le financement de la création et du spectacle vivant ». Seule option : préparer une série d’amendements législatifs pour bloquer l’agenda.
Entre temps, la Cour de justice européenne, dans une affaire touchant l’Autriche, a considéré dans ses conclusions que la compensation pour copie privée vient indemniser un préjudice et qu’elle doit donc être perçue par la victime du préjudice et non par un tiers, un représentant ou un organisme…. Une position qui fait craindre des répercussions en France, notamment sur la légitimité des 25 % finançant la création et la diffusion. Lesquels permettent au ministère de la Culture de réduire ses propres aides aux secteurs concernés et qui pourraient se trouver incompatibles avec le droit européen. Bref, c’est l’effondrement d’un système que craint la Rue de Valois.
Déjà, en conséquence de l’arrêt du Conseil d’Etat, les sociétés de répartition des droits s’attendent à une baisse des ressources issues de la copie privée. La Sacem a mis en réserve 25 % des perceptions Copie France depuis le mois d’août en prévision des contentieux susceptibles de conduire à des remboursements de redevables (plusieurs ont déjà été lancés en France), les autres SPRD ont suivi et provisionnent. L’Adami a gelé 20 % des aides désormais accordées sur 2012…
Dans ce calendrier serré, une réunion interministérielle, présidée et arbitrée par Olivier Henrard (l’architecte d’Hadopi, aujourd’hui conseiller culturel de Nicolas Sarkozy) a validé le 13 septembre la plupart des amendements du ministère de la Culture. Un mois plus tard, un projet de loi concocté par la Rue de Valois était examiné par le Conseil d’Etat, avant sa présentation en Conseil des ministres, en faisant jouer la procédure d’urgence pour écourter le ballet des navettes législatives.
(partie 1 sur 4)