Le projet de loi anti-piratage présenté en Conseil des ministres
Le projet de loi « favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet » a été présenté en Conseil des ministres ce mercredi 18 juin, par la ministre de la Culture et de la Communication
Répondant à une situation d’urgence - « l’économie du secteur culturel et le renouvellement de la création se trouvant menacés par le pillage grandissant des oeuvres sur les réseaux numériques », il s’appuie sur les accords de l’Élysée signés le 23 novembre 2007 entre 47 organisations et entreprises de la musique, du cinéma, de l’audiovisuel et de l’Internet.
Les engagements
Lors d’une conférence de presse, Christine Albanel a rappelé les grandes lignes du texte, tout d’abord les engagements pris par les industries culturelles d’améliorer l’offre légale (qui ne représente aujourd’hui que 7 % du marché en France contre près de 25 % aux Etats-Unis). La « fenêtre VoD » sera ramenée de 7,5 mois actuellement à 6 mois. Ensuite, la chronologie des médias dans son ensemble fera l’objet de négociations, destinées à aboutir dans un délai d’un an maximum » pour se rapprocher sensiblement de la moyenne européenne (3 à 4 mois), annonce la ministre. Les acteurs de la musique veilleront, eux, à supprimer les DRM dans le délai d’un an après la mise en application de la loi. D’aucuns considèrent un peu « maigres » les mesures destinées à développer l’offre légale et à la rendre accessible et attractive. D’où la focalisation sur le volet anti-piratage.
A cet effet, le projet de loi vise à « sortir d’une logique massivement répressive pour aller dans une logique davantage préventive et pédagogique » (les deux avertissements précédant, en cas de récidive, la suspension de l’abonnement pour une durée de 3 à 12 mois), précise Christine Albanel. Il prévoit une possibilité de transaction pour les internautes qui diminuera la durée de suspension, et une mesure alternative pour les entreprises (invitées à installer des pare-feux empêchant le piratage par les salariés). La Haute Autorité sera financée sur fonds publics (à hauteur de 15 millions d’euros).
Des attaques « mal fondées »
Christine Albanel s’est ensuite efforcée de balayer les principales critiques dont le projet de loi fait l’objet. « Les diverses attaques sont mal fondées » a-t-elle déclaré, en soulignant que le texte vise à rétablir l’équilibre entre les droits de propriété et le droit moral des créateurs d’une part, et le droit au respect de la vie privée des internautes d’autre part, que les utilisations de données personnelles seront entourées de nombreuses garanties, que la Haute Autorité (composée de magistrats et d’agents publics assermentés) sera indépendante et impartiale, qu’elle « n’exercera aucune surveillance généralisée des réseaux et des internautes, pas plus d’ailleurs que les fournisseurs d’accès » (les mesures de filtrage devront faire l’objet d’une expérimentation préalable sur deux ans) et que le projet vise à détourner les ayants droit et les internautes de la voie pénale. Le projet de loi sera d’ailleurs complété par les très prochains décrets réformant la carte judiciaire, préparés par la Chancellerie, qui concentreront ce type de contentieux entre les mains d’un nombre limité de tribunaux spécialisés en matière de propriété littéraire et artistique.
« Il ne s’agit donc bien évidemment ni de « fliquer » ni de « criminaliser », ni de supprimer des libertés fondamentales – à moins que l’on considère le vol comme une liberté fondamentale. Ce dont il s’agit, c’est de stopper une hémorragie des œuvres qui a déjà causé suffisamment de dégâts » a poursuivi la ministre, en indiquant que le nombre d’actes de piratage en France s’élève à 1 milliard dans l’année (« nous sommes numéro Un dans le monde ! »). Quant la prise de position défavorable du Parlement européen, Christine Albanel la juge tout aussi « mal fondée », expliquant que « les députées européens n’étaient pas réellement informé du dispositif français » et qu’au contraire, « l’approche française » soulève un vif intérêt de la part de nombreux Etats membres, voire de la Commission européenne « qui envisage d’adopter une recommandation en ce sens ».
Scénario-catastrophe ?
Le quotidien Libération a fait sa Une du jour sur « Les flics du clics » et consacré quatre pages au projet de loi. Sous l’intitulé « Riposte graduée : le pire du pire ? », un scénario-fiction dresse un bilan calamiteux à décembre 2009, évoquant un malentendu de départ, la cacophonie des avertissements, la maladresse des sanctions, les dérapages et les mouvements de protestation provoqués par la loi, allant jusqu’à parler de catastrophe industrielle. « Nous avons essayé d’empêcher les dérapages. Tout a été mis en œuvre pour bâtir un projet de loi le plus souple et le plus mesuré possible », nous répond Christine Albanel, interpellée par GL Connection sur ce scénario-catastrophe. Quant à l’éventualité d’un plan B, au cas où la loi ne rencontrerait les résultats escomptés, « il n’y en a pas. Essayons de réussir le plan A » a ajouté la ministre.
Rendez-vous à la rentrée
Quant au calendrier parlementaire, la présentation en première lecture au Sénat prévue pour juillet semble compromise. « Il y a un embouteillage inouï. Je crains fort que nous ne puissions y arriver » confie la ministre de la Culture, en renvoyant à l’automne.