Premières rencontres de l’Océan Indien : compte-rendu
Newsletter n° 12 – 11 octobre 2006
Les premières Rencontres des créateurs musicaux de l’Océan Indien se sont déroulées du 20 au 24 septembre à Antananarivo (Madagascar) à l’initiative de Musiques France Plus, avec le soutien de la Sacem. L’Adami, l’Unac, le Snam étaient notamment représentés, aux côtés de parlementaires (Pierre Joxe, Jean-Paul Dupré, Jean-Claude Lefort, Jean-Claude Bateux) et d’artistes de l’Océan Indien (Mayotte, Maurice, Seychelles, Réunion…) et des pays d’outre-mer (objet d’autres rencontres qui se sont enchaînées ensuite à l’Ile de la Réunion). Parmi les temps forts : l’ouverture officielle par le Premier ministre malgache Jacques Sylla, une réception à la résidence de l’ambassadeur de France, plusieurs soirées musicales dont un grand concert au Centre culturel français et plusieurs tables rondes.
Droit d’auteur versus réalités locales
Les premiers débats ont porté sur le droit d’auteur, cristallisant une problématique bien réelle, déjà évoquée lors des Rencontres similaires qui s’étaient tenues en Guadeloupe en 2003. De nombreux créateurs, pourtant acquis au principe du droit d’auteur, s’avouent perplexes compte-tenu des réalités difficiles de leur quotidien et de leur éloignement géographique vis-à-vis de la Sacem. « Nous avons le sentiment que la grosse administration centrale parisienne est loin de nos préoccupations » lance l’artiste guyanais Chris Combette. « La machine grippe. Nous n’avons plus de représentant en Guyane, la déléguée Sacem a disparu du jour au lendemain et nous n’avons pas senti de volonté de la remplacer ». La petitesse des territoires rend la problématique complexe. « Il n’est pas intéressant que la Sacem ait des bureaux régionaux à Mayotte ou en Guyane car ce n’est économiquement pas viable » explique Jean-Pierre Kuntz, du département des Affaires internationales. La Guyane est à nouveau placée sous la houlette du délégué en Martinique, Christian Boutant. Devant la charge de travail supplémentaire, celui-ci a réussi non sans difficulté à obtenir une personne à ses côtés. « Résultat : en 6 mois, j’ai fait progresser les perceptions de 52 % », nous confie-t-il. Cercle vicieux en somme. Et de quels moyens dispose la Sacem pour contrôler, de Paris, les diffusions radio de petits territoires comme Mayotte, demande un auteur ? La réponse est claire : « La Sacem, à Mayotte, ne contrôle rien » avoue Jean-Pierre Kuntz.
De quoi rendre l’assistance encore plus médusée quant aux perspectives pour les créateurs, même les plus diffusés, de percevoir des droits... Du coup, leur tentation est grande de vouloir créer localement des sociétés d’auteur adaptées. Une perspective dont « il est hors de question dans l’espace français d’outre-mer » réagit aussitôt Jean-Pierre Kuntz. Retour donc à la case départ : dépendre de la Sacem et espérer d’hypothétiques répartitions, suite à de bien maigres perceptions et en l’absence de tout outil de contrôle. D’où le sentiment, que nous ont confié certains auteurs ou compositeurs, d’être des laissés-pour-compte du droit d’auteur. « Reste la piste d’un représentant local comme au Liban » avance juste Jean-Pierre Kuntz. Dans cette problématique, les plus chanceux sont peut-être les territoires non français, comme Madagascar qui a pu créer sa propre société d’auteurs, l’OMDA, avec l’aide de la Sacem qui a formé en France ses représentants. Encore faut-il une filière musicale suffisamment génératrice de droits…
Un secteur musical dans l’impasse économique
Les conditions de la production musicale et le développement de l’accès aux marchés européens, et français en particulier, pour les créateurs des pays de l’Océan Indien ont constitué l’autre thématique de ces rencontres. La délégation française a tout d’abord rappelé la situation du marché français, la crise du disque amenant à exploiter de nouveaux gisements d’exploitation, face à un spectacle vivant « qui ne se porte pas trop mal ». De leur côté, les professionnels malgaches ont dépeint la réalité de leur marché : 9,8 artistes sur 10 ne peuvent vivre de leur musique, 9 concerts sur 10 sont déficitaires, avec des billets à moins d’un euro. Quant aux disques, Madagascar ne disposant d’aucune usine sur place, les CDs sont fabriqués en France pour revenir dans l’île où ils sont vendus 12 euros en magasin (quand le smic local est de l’ordre de 35 euros). « C’est une situation inacceptable. Si on n’élague pas tous ces problèmes, on ne s’en sortira pas. On compte sur vous pour nous aider » a lancé un producteur. Difficile de rebondir. « La Sacem n’a pas de baguette magique » répond la tribune.
« Au préalable, est-ce que nous répondons aux critères du marché ? Et quels sont-ils ? Devons-nous nous formater » demande Fanja Andriamanantena, ACI malgache. Ce à quoi il fut répondu qu’au contraire, les artistes doivent rester authentiques et garder leurs spécificités. Car la délégation française a été unanime à saluer la diversité des musiques malgaches. Comme Nicolas Galibert, président de Sony ATV Music Publishing, reparti avec des valises pleines de CDs et qui souhaite rester informé des projets en cours. « Pourquoi ne pas imaginer un focus sur Madagascar au Midem ? » lance-t-il. Le rôle des médias francophones a été aussi évoqué. « L’Océan Indien est le grand absent des antennes de RFI. Faut-il faire la charité ? » lance un producteur). Jacques Blache, président délégué de Musiques France Plus, préconise le relèvement des quotas de 5 % pour les réserver aux pays du Sud. « Nous sommes loin de toutes ces questions, intervient un artiste malgache. Ici, nos problèmes c’est : Où enregistrer ? Où jouer ? Où presser ? Nous sommes dans un système qui se mord la queue ».
Une brèche ouverte
Au-delà du choc des cultures et des difficultés évoquées, c’est le sentiment d’une brèche ouverte qui ressort de ces premières rencontres. Du moins, est-elle souhaitée de part et d’autre. Le ministre de la Culture malgache s’est dit convaincu que cette manifestation portera ses fruits et ouvrira des portes aux productions malgaches à travers le monde. Synthétisant les débats, Jean-Pierre Kuntz souligne les énergies constatées du côté des auteurs, compositeurs, interprètes comme producteurs, mais aussi le manque de lien entre ces énergies. « Il faut fédérer, créer des syndicats pour avoir plus de poids vis-à-vis des gouvernements ». Et de convenir que « les créateurs n’ont visiblement pas assez de contacts avec leur société d’auteur, il y a nécessité d’une formation quasi continue ». Jacques Blache, dont l’activisme a été unanimement salué, promet que d’autres rencontres suivront.
Pour Claude Lemesle, président du C.A. de la Sacem, ces rencontres ont « donné une impulsion. Il faut maintenant que se fédèrent les énergies, avec en objectif une meilleure exportation de ce vivier musical extraordinaire ». Tous espèrent que ces premières rencontres soient déclencheuses d’initiatives. Comme le mariage musical réussi entre l’Orchestre de l’Espace de l’Art de Normandie et le musicien malgache Justin Vali. D’ailleurs, la Sacem vient de décider de lui décerner lors de ses prochains prix, celui de la musique traditionnelle. Un début d’ouverture. A suivre.
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